Vincent Lemire : « Les acteurs du conflit sont entrés dans une guerre existentielle »

Oct 6, 2024 at 9:59 PM

Conflit israélo-palestinien : un cinquième acte tragique

Le 7 octobre 2023, le Hamas a mené une attaque terroriste en Israël, marquant le début d'une nouvelle phase du conflit israélo-palestinien. Vincent Lemire, historien spécialiste de Jérusalem, analyse cette escalade comme le "cinquième acte" d'un conflit qui semble s'enfoncer dans une guerre existentielle.

Un conflit qui s'envenime avec le temps

Genèse d'un conflit tragique

Selon Vincent Lemire, le conflit israélo-palestinien peut être divisé en cinq actes distincts. Le premier, de 1890 à 1917, a vu l'émergence de projets nationaux concurrents entre Israéliens et Palestiniens. Puis, de 1917 à 1947, des affrontements sporadiques se sont produits sous tutelle internationale. De 1947 à 1987, le conflit a pris la forme de guerres conventionnelles entre États. Enfin, de 1987 à 2017, une alternance entre soulèvements palestiniens et phases de négociations a marqué cette période.Aujourd'hui, selon l'historien, le conflit a basculé dans un cinquième acte, celui d'une "guerre existentielle" entre les deux parties. Les conséquences humaines sont dévastatrices, avec près de 42 000 morts à Gaza, sur une population de 2,3 millions d'habitants, ce qui équivaudrait à 1,5 million de morts en France. Du côté israélien, le risque est davantage "juridique, géopolitique, différé", l'existence même de l'État étant liée au droit international.

Une escalade sans précédent

Cette nouvelle phase du conflit se caractérise par une escalade sans précédent. Alors que les conflits précédents étaient relativement courts, la situation actuelle révèle une temporalité beaucoup plus longue. À Gaza, les dommages sont considérables, avec près des deux-tiers du bâti détruit ou inopérant. Ce territoire est devenu "inhabitable", dépassant le cadre d'une simple "opération antiterroriste".En Cisjordanie, la situation n'est guère plus encourageante. Depuis un an, on dénombre 750 morts, soit pratiquement le même bilan que la première Intifada sur cinq ans. Les incursions militaires israéliennes, les bombardements aériens sur des villes et des camps de réfugiés témoignent d'une escalade "gravissime".

L'échec de la diplomatie et du droit international

Face à cette situation, les appels au cessez-le-feu et à la trêve se sont avérés vains. La diplomatie, incarnée notamment par les efforts d'Antony Blinken, a permis de retarder l'embrasement régional, mais elle est constamment contredite par Israël. Quant au droit international, il a été "dévasté et piétiné", malgré les tentatives de le convoquer pour régler le conflit.Cette impuissance de la diplomatie et du droit international a conduit à une "judiciarisation du conflit", avec le recours aux juridictions internationales. Cependant, le droit international reste un outil pragmatique et concret de règlement des conflits, même s'il est aujourd'hui gravement mis à mal.

Une colonisation qui se poursuit

Parallèlement à cette escalade militaire, la colonisation de la Cisjordanie se poursuit, avec des conséquences dramatiques. Alors que la première Intifada avait fait 1 000 morts en cinq ans sur l'ensemble de la Palestine, on dénombre aujourd'hui 750 morts en un an sur la seule Cisjordanie. Cette situation témoigne d'une "escalade gravissime", avec des bombardements aériens sur des villes et des camps de réfugiés, dans des territoires pourtant occupés.

Une rationalité partagée par les protagonistes

Selon Vincent Lemire, les dirigeants israéliens et le chef du Hamas, Yahya Sinouar, ont des intérêts communs dans l'extension des hostilités. D'un côté, Netanyahou cherche à consolider son opinion publique, à se maintenir au pouvoir et à favoriser son allié Donald Trump. De l'autre, Sinouar souhaite desserrer l'étau militaire sur les tunnels de Gaza.À l'inverse, le Hezbollah et l'Iran ont intérêt à la désescalade. Ils font le "service minimum" depuis un an, répondant toujours en dessous de ce qui est attendu. L'Iran, qui a subi des "humiliations répétées", a pour seul but la protection de son programme nucléaire, et le Hezbollah est là pour protéger Téhéran, pas l'inverse.

Vers un processus d'apaisement plutôt qu'un processus de paix

Face à cette situation, Vincent Lemire estime qu'il faut désormais parler d'"apaisement" plutôt que de "paix". Les paramètres du processus de paix des années 1990-2000 sont "morts et enterrés". L'historien évoque l'idée d'"One Homeland, Two States", qui permettrait de faire vivre deux États sur un même territoire, de la Méditerranée au Jourdain.Cette perspective, bien que théorique, nécessiterait de se libérer des paramètres actuels du conflit. La construction européenne pourrait servir de modèle pour imaginer une solution de ce type, basée sur des notions de confédération et de découplage de l'autorité étatique et du territoire.

Un débat public français dégradé

Enfin, Vincent Lemire constate que le débat public français sur le conflit israélo-palestinien s'est dégradé depuis un an. Chacun est revenu dans son "couloir idéologique", le débat étant "pollué par des enjeux politiciens intérieurs". L'historien plaide pour la mise en avant du concept de "processus d'apaisement", tant au Proche-Orient qu'en France, afin de dépasser les clivages et de favoriser une approche plus constructive.