Tunisie : le bilan de Kaïs Saïed
Oct 5, 2024 at 3:00 PM
La Tunisie à la croisée des chemins : Kaïs Saïed, entre espoir et désillusion
Les mots sont les mêmes qu'en 2019, mais le ton est beaucoup plus martial : « Nous menons une bataille contre les corrompus et la corruption », assène le président à une petite foule réunie dans le quartier de Bab El Khadra (médina de Tunis). En 2019, il était seul, porté par l'espoir d'une population écœurée des magouilles parlementaires. Saïed allait de café en maraude pour affirmer son programme : haro sur la corruption, haro sur les élites corrompues, haro sur une décennie saccagée, une révolution dérobée. 72,3 % des suffrages exprimés se portèrent sur sa personne au second tour.Une promesse de changement, une réalité plus complexe
Une économie en difficulté
Lorsque Kaïs Saïed prend le pouvoir, les fondamentaux économiques de la Tunisie sont dans le rouge depuis plusieurs années. L'endettement public extérieur a bondi, passant de 54 % en 2011 – année de la révolution – à plus de 90 % en 2018. Le recours à l'emprunt sur les marchés financiers est devenu une nécessité pour financer un tiers du budget de l'État, plombé par la masse salariale de la fonction publique, qui représente plus de 44 % des dépenses. Sur une population active de 4 millions de Tunisiens, fonctionnaires et agents des entreprises publiques sont près de 900 000. L'État tunisien est devenu un monstre insatiable, produisant tout, du pneu au papier, mais avec des entreprises publiques toutes déficitaires.Kaïs Saïed n'a pas hérité de cette situation, ses pouvoirs étant limités par la Constitution de 2014. Pendant vingt mois, il a observé une Assemblée des représentants du peuple paralysée par l'absence de majorité, rongée par des alliances contre nature et des députés se battant physiquement. Finalement, il a brandi l'article 80 de la Constitution pour "geler le Parlement" en juillet 2021, prenant ainsi le contrôle de tous les leviers du pouvoir.Un tournant autoritaire
À partir de cette date, Saïed a licencié l'Assemblée, jeté la Constitution au feu, supprimé le poste de Premier ministre et réécrit une nouvelle Constitution, plus religieuse, façonnant un système bicaméral où le peuple aura le droit de révoquer ses élus à tout instant. Il dirige désormais par décret-loi, sans possibilité de contestation, y compris de la part de la justice.Dans son ADN, une idéalisation du petit peuple, paré de toutes les vertus, face à des élites corrompues, cupides, manipulées par la main de l'étranger. Son principal conseiller et inspirateur, surnommé "Ridha Lénine", incarne cette extrême gauche panarabe et souverainiste qui a pris le pouvoir dans les ministères et certaines administrations.Un bilan économique mitigé
Après avoir demandé au gouvernement de solliciter un plan FMI, Kaïs Saïed a finalement décidé de faire appel aux banques tunisiennes, certaines dépassant les plafonds fixés pour prêter à l'État. Le service de la dette extérieure a été honoré, mais le chômage dépasse les 16 %, l'inflation taquine toujours les 7 % et la balance commerciale est largement déficitaire.Face à ces difficultés économiques, Saïed a effectué un grand ménage autour de lui, écartant le clan des marxistes-maoïstes sur conseil de l'armée. Des technocrates ont été nommés à tous les postes du gouvernement, mais la famille et la belle-famille du président l'entourent désormais à Carthage.Une élection verrouillée
Alors que la réélection de Kaïs Saïed s'avère compliquée, "tout a été fait pour verrouiller le scrutin", selon l'analyste Michael Ayari. Candidats empêchés, emprisonnés, médias cadenassés, journalistes sous les barreaux, le climat est toxique. Le bilan économique joue contre Saïed, de nombreux Tunisiens n'ayant rien vu venir de la "redistribution des richesses des corrompus". Cependant, la population semble indifférente au champ de ruines démocratique, craignant de répéter l'erreur de la chute de la dictature Ben Ali.